IMG_8557.jpg

blog

(fr) Creative flow est un blog dans lequel j’explore le processus créatif. J’en ai besoin pour avoir plus de force dans mon travail, repousser mes croyances limitantes et juste laisser tout ce flow créatif sortir de moi. Et peut-être aider - ou au moins inspirer- d’autres personnes à en faire de même !

(eng) Creative flow is a blog where I explore the creative process to get more strength in my work, let fall the boundaries I got to let the flow just go. And maybe help -or at least inspire- others to do the same !

Retour feutré graviers

Retour feutré graviers

Passer discrètement la tête par le coin droit de l’écran - éclairage nocturne activé. Glisser l’avant de ma chaussure devant le wallpaper Saraswati (là où le paon se tient près de la déesse aux quatre bras), faire apparaître une main entre les icônes, tenter un second pas dans la barre grise « Que voulez-vous dire ? ». Ouf j’y suis. Resurgir dans le flux des publications. Défiler en talons entre les photos carrées, les hashtags et les hyperliens. Reprendre les réseaux laissés à l’abandon quelques semaines (non, quelques mois constate-je en scrollant sur la page aux boutons bleus). Pianoter du pouce droit sur le clavier tactile. L’inspiration vient, revient. En pleine nuit, entre 4h et 6h du matin. Je tapote des lettres et des mots sans m'arrêter. « Tout doux, ma chère. De la douceur chère Hélène Bulldozer ! » « Entendu cinq sur cinq Hélène coton », je reviens sur l'écran, c'est parti. En douceur.

///

Crachin de graviers, pluies sédimentaires, tsunamis métamorphiques, peurs calcaires ou granitique, je veux vous laisser sur le trottoir.

_ Vous ne franchirez pas le passage piétons avec moi !

(ils essaient de me suivre)

_ Pas bouger, j’ai dit, pas bouger !

(ils s'arrêtent)

_C’est bien, gentils cailloux.

Je les caresse en les regardant dans les yeux, me lève et leur montre mon index pour la dernière fois : « Pas bouger ! » Je me retourne et franchis les barres jaunes (nous sommes en Suisse) les unes après les autres. Je balance mes pierres papier journal sur la rue. Je dois regagner l’autre trottoir légère. Je vide la doudoune dorée, vomis mes tripes galets sur le goudron et gagne l’autre rive grise. Je m’arrête une fois pour toutes. Tous mes cailloux dispersés dans la fosse aux pneus, je me tiens fière et victorieuse, légère.

Ceci est mon scénario rêvé. Passer le passage piéton et tout laisser sur le trottoir d’en face. Regarder mes débris une dernière fois, "bye bye encombrants !" et les regarder disparaître engloutis par la benne du camion poubelles.

Ceci n’est pas ma réalité.

Les changements se font en moi à la manière du vent qui érode la roche, au rythme des saisons, des années. J'envie les personnes qui vivent des électrochocs cosmiques, touchées subitement par l'esprit saint et se débarrassent de tous leurs cailloux d'un seul coup : le débutant de yoga qui atteint le Nirvana lors de son premier asana ; la rescapée, qui, en sortant de son coma après avoir frôlé la mort, revient illuminée. RESET. Je n’en suis pas. Chez moi, il s'agit d'un travail long et lent, invisible, à la manière d'un menhir qui se polie, encore et encore (oui, je suis bretonne). Il me faut souvent plusieurs années pour réaliser les changements profonds. Il me faut traverser la ville encore et encore, faire demi tour à l’impasse, tourner dix fois autour du rond-point, attendre au feu rouge pour réaliser que j'ai laissé un caillou sur le chemin "Ce tout petit, rouge et rond, je ne l'ai plus ?". Si seulement il ne me fallait qu’un passage piéton à franchir pour me débarrasser de tous mes cailloux (soupir).

Les dernières semaines, j'ai eu l'impression de récupérer mes vieux cailloux, alors que je croyais m'en être débarrassée une fois pour toutes ("je l'avais pas jeté dans le caniveau, celui-là ?"). Je n'ai aucune envie de les voir, alors je les enfonce bien au fond de mes poches. Mais ils pèsent un peu lourd.

Peut-être dois-je tenter une autre stratégie. Je pourrais, par exemple, m'asseoir sur le trottoir, face au passage piéton. Je prendrais chaque galet dans ma main, pour le caresser. A la manière de ces statues polies par les mains des fidèles, ils finiront bien par se creuser. Et puis, au bout d'un moment (quelques milliers d'années) je soufflerais sur le petit tas de sable qu'il me restera dans le creux de la main. Mais pour l'instant, je vais commencer par les caresser. De la douceur, Hélène. De la douceur.


Les photos ont été prises par Indra Crittin en novembre 2022 lors d'un stage d'art de rue au CCHAR à La Chaux-de-Fonds avec Nicolas Chapoulier de la cie Les 3 points de suspension. Pendant deux jours, nous avons tiré les cartes du tarot Constellations - un tarot sur les mythologies contemporaines - à des passants, et créé toutes sortes de rituels dans l'espace public. Un week-end complètement foufou inspirant !!!