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(fr) Creative flow est un blog dans lequel j’explore le processus créatif. J’en ai besoin pour avoir plus de force dans mon travail, repousser mes croyances limitantes et juste laisser tout ce flow créatif sortir de moi. Et peut-être aider - ou au moins inspirer- d’autres personnes à en faire de même !

(eng) Creative flow is a blog where I explore the creative process to get more strength in my work, let fall the boundaries I got to let the flow just go. And maybe help -or at least inspire- others to do the same !

Rue-pétitions, défi béton

Rue-pétitions, défi béton !

Jetés dans la fosse granit, nous voilà prêt.e.s ! En sweat-shirts bleus, nos textes à la main, au bord de l'eau, entre la Rotonde, la buvette et la plage de galets, notre premier territoire : les Bains des Pâquis. On y va, on y va pas ? A quel moment ? Où ?

Notre scène est le théâtre du monde, la rue, et personne ne nous attend

à part Nubia, la chargée de communication de La Fête du Théâtre. Personne n'est habitué à voir surgir deux acteurices entre les cygnes et le jet d'eau au loin. Personne ne nous attend. Ce n'est pas comme au théâtre.

Au théâtre, le rendez-vous est pris. Chacun.e joue son rôle. Le.la spectateur.ice a acheté son billet, sait ce qu'il.elle vient voir, boit son petit verre de vin avant la représentation, parfois a mis ses plus beaux vêtements pour l'occasion (c'est quand même le théââââtre !), puis attend patiemment l'ouverture des portes de la salle pour se diriger du côté paire ou impaire "c'est sur votre droite, Madame", répond la jeune ouvreuse portant un t-shirt à l'effigie de la salle. Il.elle s'asseoit sur son fauteuil souvent rouge, attend que la lumière s'éteigne. Fait silence. Attend que la lumière se rallume. Le.la comédien.ne, derrière le rideau joue aussi le jeu. Il.elle arpente les coulisses quelques instants, répète une dernière fois son texte comme pour se rassurer, se mord la lèvre de trac, prend une grande inspiration et monte sur scène pour honorer son contrat. La pièce se joue et l'attention est dirigée sur la scène lumineuse tandis que la fosse est sombre. Personne ne bouge pendant la représentation. La lumière s'éteint. Tout le monde applaudit. La lumière se rallume. Les artistes viennent saluer. Peut-être que tout le monde se lève. Les artistes disparaissent derrière les rideaux, reviennent en courant main dans la main. Deuxième ovation. Ils se baissent. Repartent. Les lumières de la salle se rallument. Tout le monde sort. Certaine.s prolongeront la séance au foyer pour échanger quelques critiques sur le spectacle, puis chacun.e rentrera chez lui.elle.

En rue, c'est un peu différent. En pleine journée, le soleil est l'unique projo. Le soir, l'artifice des lumières peut jouer son rôle. La représentation est accompagnée de sensations diverses autant pour les spectateurices que les acteurices : humidité de la pluie, chaleur du soleil, canicule du béton, un journal de fortune pour se couvrir la tête, des pulvérisateurs pour se rafraîchir, grands vents, sables du sahara, tornades, tout est possible... Ici, pas de fauteuils moëlleux ergonomiques et absorbeurs de son. Les fesses directement sur le bitume (au mieux sur un carré d'herbe douce ou un banc de fortune), le.la spectateurice se tortille pendant la représentation, tentant de trouver la position la plus appropriée pour son postérieur et sa vision altérée par les tortillements des autres devant elle. Idem pour l'acteurice qui doit jouer dans des conditions extrêmes. Mais il y a presque toujours un contrat : un rdv est posé, une heure de départ, un lieu. L'espace est délimité, que ce soit avec une corde ou un simple trait de craie. On arrive, on assiste au spectacle, on part. Certes, on doit faire avec les bruits des bagnoles, le décor urbain, mais il reste un contrat signé par les deux parties dans lequel chacun.e sait ce qu'il.elle a a faire.

Pour les Rue-pétitions, il n'y a pas de cadre. Nous faisons irruption au milieu du trajet quotidien entre appartement et travail, tram et cabinet du médecin, train et courses à la Migros. Nous intervenons à la pause déjeuner, au moment de relâche au parc avant la sonnerie, dans le trajet pénible du bus, coincés entre les autres usagers. Personne ne nous attend. Il n'y a pas d'horaire sur un flyer, pas de scène, pas de public prévenu. Il n'y a que les conventions de l'espace public qui sont généralement : j'avance droit, je trace sans m'arrêter, je ne m'adresse pas aux inconnu.e.s, je ne m'exprime pas en public (je passerais pour fou.folle !!!), je ne montre pas mes émotions, je regarde du coin de l'œil ce qu'il se passe et je n'interviens que rarement dans la vie des autres, sauf si je suis avec un groupe de potes ou en visio conférence avec mon oncle en direct de son lit au Pérou.

Donc, lorsque nous débarquons en sweat-shirts bleus, nos textes à la main, entamant la scène 1 du "Médecin malgré lui" qui est une dispute, tout est possible : le flop, les cris du patron du resto d'en bas "c'est bientôt fini tout ce raffut?", le seau d'eau jeté du 2ème étage, les rires, le flop encore (le groupe d'ados devant lequel on s'était placé stratégiquement nous fuit littéralement), le reflop sur le quai de la gare des Eaux-Vives (purée, y'a des trains toutes les deux minutes à cet horaire, c'était pas la même chose la dernière fois !), le re-re-flop devant les gens sur le banc. Cédric commence à avoir la voix cassée et il a beau pousser la voix, personne ne nous écoute à part peut-être le chien là-bas ? (On se console comme on peut).

Mais il y a aussi des pépites. Instants choisis :

Une femme en conversation sur son portable place de la Navigation parle de violences qu'elle subit (ou une amie à elle). On hésite à y'aller "c'est quand même une scène de violences domestiques... ", on respire un coup, on y va. C'est reparti pour la dispute ! Une fois terminé, nous revenons face a notre public de l'instant : quatre / cinq personnes sur un banc et la femme au téléphone d'applaudir et crier un "bravo !".

Joie.

Devant une des sorties des HUG (les hôpitaux de Genève), nous attrapons le personnel à la pause clope, d'autres personnes en blouses rejoignent l'attroupement et une soignante de nous dire à la fin "On vous verrait bien tous les jours !"

Jubilation.

A la rampe de la Traille, nous retrouvons cette femme aphasique avec ses copines qui rit à nouveaux aux éclats et nous remercie avec des gestes chaleureux.

Gratitude.

Sur le parvis de l'Unimail, nous entamons Sarah Bernhardt au milieu des étudiant.e.s posés entre les bancs et la fontaine. Les applaudissements sont chaleureux. Un jeune homme nous hèle "c'est exactement ce que je vis !" (la scène d'Un cœur d'homme parle d'un homme lassé de son mariage et amoureux d'une autre.). Il me tend son portable pour me faire lire la conversation avec son amante. "Tu comprends pourquoi ça parle de moi ?"

Tendresse.

Alors, oui, il n'y a pas de public, pas de rendez-vous, pas de scène. Il y a cette trouille énorme de déranger les gens, de se faire envoyer chier. Mais il y a ces applaudissements soudains qui sortent d'on ne sait où dans le tram. Alors qu'on croyait que personne ne nous regardait, ne nous écoutait, tou.te.s les yeux rivés sur leurs portables, ils.elles relèvent la tête et nous sourient. Et ces deux jeunes de nous dire "Merci, ça nous change du quotidien !". Malgré les flops et les gens qui nous ignorent, on s'en fout et on a plus qu'une envie : prendre le prochain train, trouver la nouvelle place et descendre les escalators en hurlant nos textes sans nous arrêter, jamais. Jamais. Jamais.