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(fr) Creative flow est un blog dans lequel j’explore le processus créatif. J’en ai besoin pour avoir plus de force dans mon travail, repousser mes croyances limitantes et juste laisser tout ce flow créatif sortir de moi. Et peut-être aider - ou au moins inspirer- d’autres personnes à en faire de même !

(eng) Creative flow is a blog where I explore the creative process to get more strength in my work, let fall the boundaries I got to let the flow just go. And maybe help -or at least inspire- others to do the same !

Fracture

Fracture

Il y a le son du bateau au loin, les oiseaux qui virevoltent et piaillent juste au dessus du toit des voisins. Tout à l'heure, j'ai posé ma couverture en polaire orange dans le petit chemin qui descend jusqu'à la rivière. Je m'y suis assise, mon assiette en bois entre mes jambes. Les deux moutons se sont approchés. La lumière du soir me paraissait rendre le champ éclatant. Mon bras gauche tout contre moi, au repos, je me disais que je n'aspirais qu'à cela.

Le silence des animaux entre les bruissements.

Fracture. Pause obligée.

Ce matin, je pleurais d'être bloquée. La lenteur de mes gestes avec un bras condamné. J'ai même loupé le bus pour aller a Genève. J'ai essuyé mes larmes et tendu mon pouce droit. A l'arrière de la voiture de cet homme à la barbe foncée, son fils qui semblait dormir sur le siège passager, j'ai contemplé les champs et les montagnes du Jura au-delà. J'ai soif de l'horizon et du silence, loin de l'agitation humaine. A Genève, pourtant, j'ai aimé déambuler dans les rues avec cet air frais qui sent la Bretagne, me poser sur les bancs bleus des bains des Pâquis et regarder les oiseaux picorer les restes de fromage d'une fondue égarée. Mais quand même, je n'avais qu'une hâte : rentrer. "Fracture fermée de l'extrémité supérieure du radius", a écrit la docteure. Fracture. Une brèche s'ouvre dans l'été. Le programme bien établi, bien rempli, bien annoncé sur insta avait déjà été bouleversé par une tornade localisée. Coup de vent, destruction. Je n'avais pas pu gueuler à La Chaux-de-Fonds comme prévu. Et voici maintenant Aurillac compromis. Brèche temporel. Arrêt forcé. Isabelle m'a envoyé la signification suivante : "Le radius, c'est le rayon, le périmètre de sécurité autour de soi, le balayage dans ce périmètre. (...) On n'arrive pas à poser ses frontières. (...) C'est l'os du discernement. "

Qu'ai-je à discerner exactement ? Quelles frontières ai-je à poser ?

Je ne sais pas. Je sais juste que depuis plusieurs mois j'aspire à du silence, de grands espaces et écrire. Comme quand je vivais dans le Vercors. Un grand balayage autour de moi à 360° dans une plaine à l'étendue infinie et debout, face au vent : dire, crier, exprimer tout ce qui a envie de se déclamer dans la plaine, jusqu'aux sommets.

Mon bras gauche est bloqué tout contre moi comme une caresse. Jai l'impression d'être un oiseau blessé. Je regarde par la fenêtre. Deux guêpes sont en train de dépecer le papillon de nuit que jai retrouvé mort sous le radiateur. Elles n'ont pas perdu de temps. Pause obligée. Comme cela me manque, le tempo des abeilles maçonnes qui sculptent leur cocon de terre, les biches qui broutent dans le pré à la tombée du jour, le regard des mouflons immobiles, cette quiétude loin de l'agitation des voitures et de la chaleur béton. Même si j'aime cette effervescence humaine, je me ressource sous les arbres, les yeux nuages et les oreilles étoilées. Fracture, brèche, fissure. Je m'engouffre dans la grotte de mes songes, à l'intérieur de ma moëlle. Il fait chaud, et je ne suis pas seule. Entre l'aboiement du chien et le son des derniers oiseaux du soir, le silence s'allonge et les forces de l'invisible me pénètrent. Revenir à l'intérieur. Tout y repeupler. Redessiner mes contours, attendre que l'aile blessée se répare, avant de me redéployer et voler haut sur mon territoire immense, infini.