Je ne veux pas voir
Je ne veux pas voir
Je ne regarde pas la télé, je n’en ai pas. Je ne lis plus les journaux. Je ne regarde pas les infos sur internet. Sur Facebook je sélectionne les posts qui apparaissent sur mon fil.
Je ne veux pas voir. Je fais l'autruche.
Sur Instagram, des photos ont surgi hier soir ‘contenu sensible’. Je ne veux pas voir ces corps laissés à l’abandon dans la rue ou enfouis dans le sable. Je ne veux pas voir tous ces gens qui fuient. Je ne veux pas voir cette violence. Je ne veux pas croire que tout cela soit encore possible. Que l’on puisse gommer des villes de la carte en quelques jours, dévaster des quotidiens, décimer des êtres humains. Je ne peux pas croire cette folie des hommes : tuer, détruire, torturer, violenter, violer, dévaster, décimer, éradiquer, exploser, bombarder. Comment est-ce possible ? COMMENT EST-CE POSSIBLE ?
Je ne veux pas voir. Je fais l’autruche. Dans mon monde, il y a l’amour et la paix. Les humains cultivent l’harmonie. Dans mon monde ils s’écoutent, se parlent et décident ensemble de leurs destins en prenant en considération leurs besoins, leurs aspirations, leurs rêves. Avec de la douceur, beaucoup de douceur. Dans mon monde chaque vie retirée est un manque pour la communauté. Chaque vie est précieuse, si précieuse.
Je ne veux pas voir. Je fais l’autruche. Je ne veux pas croire qu’à quelques frontières de chez moi, des gens souffrent, fuient, meurent, crient de désespoir. Je suis bien dans mon quotidien de rêve et je ne veux pas voir l’autre côté. C’est loin, alors ce n’est pas ma réalité. Je suis adepte du "cultive la réalité que tu veux voir" et je la traduis en "détourne ton regard de ce que tu ne veux pas voir". Je suis dans le déni. Je fais l’autruche parce que je suis complètement démunie. Je ne sais pas quoi faire d’autre, alors je peux au moins faire rire les gens... Je continue à cultiver la joie comme une plante que je protège des bombes. J'essaie de croire que tout l’amour que je lui donne l'aidera à devenir un arbre solide plus fort que la tronçonneuse qui voudra l'abattre.
La réalité que je ne veux pas voir est maintenant à mes côtés. Nous partageons les repas ensemble, je me remets à parler russe, aujourd’hui Tatiana m’a fait des tresses au soleil devant le grand manoir. Avec le lac et les oiseaux qui chantent j’oublie qu’elles ont toutes fui la guerre. Moi qui me croyais capable d’aborder la mort facilement, j’ai de la peine à parler de la situation car cela me paraît un gouffre sans fond. J’ai peur de tomber dedans, de me laisser aspirer et de mourir, de douleur.
Je ne veux pas voir, je fais l’autruche.
J'ouvre les yeux.
Pour les ami.e.s de Mysleepinggypsy ❤️ Pour tous les peuples qui vivent la violence, la guerre, le déracinement : en Ukraine, en Afghanistan, en Syrie, en Éthiopie, au Yémen, au Burundi, en RDC, au Nigéria, au Sahel, au Venezuela, au Soudan, au Myanmar, en République Centrafricaine, au Mali et à tous ceux que j'oublie... beaucoup d'amour.