J’ai peur que tu brilles plus que moi

« Non, je ne suis pas compétitive, mais pas du tout ! J’adore l’horizontalité, la gouvernance partagée. Tu connais le livre Reinventing organisation ? Brillant ! Tu sais que, à force d'être en lien avec les autre, j’ai réalisé que… nous sommes tous des étoiles ! C’est magnifique !!! Chacun.e a son talent unique, chacun.e a sa teinte propre, sa saveur, oui chacun.e a sa place, si précieuse, dans le monde. »

(je cligne des yeux à la Betty Boop)

(dans ma tête :

« Mais toi, à qui je parle, ne me dépasse pas trop, je veux rester la meilleure. Tu es une étoile, mais ne brille pas plus que moi. Je veux être la plus étincelante. Je ne veux surtout pas que tu me fasses de l’ombre. »)

En vérité, je flippe grave quand trucmuche me dit qu’il est en train de mûrir un super projet avec machin. Je suis jalouse quand machine me dit qu’elle va sortir son livre. Je voudrais que ce soit moi. Je bouillonne quand je vois mon ex se mettre au développement personnel. Je n’ai surtout pas envie qu’il évolue. Parce que je veux rester la première première. Ne me dépasse pas, surtout ne me dépasse pas, reste derrière et gare toi dans mon ombre. Surtout, ne prends pas le soleil. Le soleil est pour MOI ! Je ne veux pas entendre qu’il a rencontré une nouvelle fille « vraiment incroyable cette femme ! ». Je veux rester la pépite pour toujours, celle qu’il regrettera toute sa vie. Je veux que personne ne m’arrive à la cheville, surtout pas elle. Je veux garder une longueur d’avance. Je veux rester sur la première marche du podium. A priori je ne crois pas en la compétition, mais je suis à fond dedans. Je veux être la meilleure, la première, la plus épanouie, la plus créative, la plus innovante, la plus à l’aise avec le business, la plus sensible, la plus connectée, celle qui a le plus d’expérience, la plus avancée en développement personnel. Je veux rester tout en haut de ma tour d’ivoire et te regarder avec condescendance, me baisser pour parler à ta petite personne, toute petite, toute petite, toute rikiki, toute fragile. Alors que moi, je suis forte et j’ai tout compris, et je suis loin devant toi. Petit insecte ridicule, je pourrais t’écraser.

(...)

En fait, j’ai peur qu’on me double parce que j’ai peur de rester sur le côté, sur le trottoir en train de mendier pendant que toi tu rayonnes, tu marches d’un air assuré avec des vêtements brillants et me lance des chips au piment d’Espelette (mes préférées) que j’essayerais d’attraper au vol comme je pourrais, avant qu’elles ne retombent sur le trottoir sale. J’avalerais les chips en espérant que quelques miettes de ton succès entrent en moi. Je lécherais même le trottoir pendant que, toi, tu avancerais en flottant.

J’ai peur que tu brilles plus que moi.

Comme je me sens misérable.

Je vais manger des chips.