IMG_8557.jpg

blog

(fr) Creative flow est un blog dans lequel j’explore le processus créatif. J’en ai besoin pour avoir plus de force dans mon travail, repousser mes croyances limitantes et juste laisser tout ce flow créatif sortir de moi. Et peut-être aider - ou au moins inspirer- d’autres personnes à en faire de même !

(eng) Creative flow is a blog where I explore the creative process to get more strength in my work, let fall the boundaries I got to let the flow just go. And maybe help -or at least inspire- others to do the same !

Peur cafard

Mars 2020. Confinement 1. Je suis envahie par de gros cafards noirs terriblement luisants. Ils sortent de terre en me fixant avec leurs yeux jaunes et se mettent grimper sur mon corps à partir de mes pieds. Je ne peux rien faire. J’ai peur PEUR PEUUUUUUUUUUR d’être oppressée, contrainte, soumise, observée, jugée, contrôlée, basta libertés, politiques fanatiques te portent au bûcher numérique pupilles dilatées lumière jaune jaune - empreintes digitales pour lever la barrière - voix artificielles pucées dans l’oreille. Les cafards m’envahissent, ils grimpent jusqu’à ma tête. PEUR PEUR PEUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUR.

SILENCE ! Maintenant tu fais silence ! Je m’assoie sur le lit en tailleur, passe le châle sur mes épaules, ferme les yeux et me mets à méditer. « Observe, just observe… » la voix de Goenga me revient en tête. Je me mets à observer, mes pensées. Les cafards continuent de grimper, envahissent ma bouche, colonisent mes narines, montent jusqu’à mon cerveau : perte de liberté, contrôle, oppression, je deviens un robot aux mains de multinationales véreuses. PEUR. PEUR. PEUR.

« STOP ! » hurle une autre voix. « C’est du fake ! Ce n’est pas de cela dont il s’agit. Il y a autre chose. Cherche ! De quoi as-tu vraiment peur au fond ? Quelle est TA PLUS GRANDE PEUR ? » Je continue le scan de mon corps, et Goenka reprend « Just observe, every sensation that you come across… ». Les pensées qui se bousculaient dans ma tête se décantent. Elles se posent. C’est alors que mon inconscient ou je ne sais quelle partie de moi fait remonter quelque chose. Les cafards disparaissent. Comme si l’on rembobinait une vieille K7 vidéo, ils sortent de ma tête par mon nez à reculons, descendent le long de mon buste, mes jambes et disparaissent dans le sol.

« De quoi as-tu vraiment peur au fond ? » me répète la voix. Des visages apparaissent. Il y en a cinq. Je les identifie clairement. Des situations liées à ces personnes émergent. Des émotions fortes me traversent : tristesse, colère, dépit. Des rancœurs vis-à-vis de ces personnes ressortent des profondeurs. Ma plus grande peur émerge : J’AI PEUR DE LEUR DIRE CE QUE J’AI SUR LE CŒUR. J’ai peur de me retrouver face à ces personnes, yeux dans les yeux et de leur dire ce qui m’a blessée, choquée, déçue. Sur le moment je n’avais rien su dire. Après coup j’avais joué et rejoué le film dans ma tête, rembobiné, accéléré, changé les dialogues et les intonations de ma voix « Oui, là je l’aurais fixé dans les yeux avec détermination et j’aurais provoqué un duel ! » Une autre voix disait : « Mais c’est bon, passe au-dessus, ce n’est pas grave, tu vaux mieux que ça !!! blablabla ». Cette voix ne m’aidait pas. Les vieux cafards faisaient la fiesta dans mon cerveau obscur. Et la rancœur était toujours là, la colère, même la rage.

Je respire. Je suis face à ma plus grande peur et mon cœur se met à battre la chamade. PEUR PEUR PEUR. Je m’imagine m’adressant à chacune de ces personnes en leur disant ce qui m’a fait du mal. Mon cœur bat tellement fort que je crois que je vais exploser. J’ai PEUR de leur réaction : qu’ils.elles me pourrissent, me crachent dessus, m’insultent. Voilà ma plus grande peur.

Je rouvre les yeux, décroise mes jambes et respire un bon coup. Je vais devoir faire quelque chose. Je n’ai aucune excuse pour ne pas le faire. J’ai du temps, je suis disponible, confinée alors GO ! Je saisis un stylo, du papier et me mets à écrire. J’écris une lettre à chaque personne. Je leur décris la situation qui m’a affectée et a fermé mon cœur. Je dis tout sur le papier.

Je suis prête à refermer les enveloppes mais je n’envoie pas les lettres. J’attends un jour ou deux. Le troisième jour, j’attrape mon téléphone.

===

Une après-midi, j’ai appelé toutes les personnes qui me faisaient peur.

J’ai commencé par la personne dont j’avais le plus peur. Sur un papier, j’avais listé les points importants, posé un grand verre d’eau à côté, répété plusieurs fois mon speech. « Bonjour X. J’ai quelque chose à te dire. J’ai besoin que tu m’écoutes jusqu’au bout. Après je suis ouverte à l’échange, mais pour commencer j’ai besoin que tu me laisses parler. » Ma respiration s’accélérait. J’ai saisi mon téléphone, ai composé une première fois le numéro. J’ai bu le verre d’eau, refait deux trois respirations pour me calmer. Ai recomposé le numéro et appuyé sur « appeler ». Je tremblais.

Je n’ai jamais eu à dire mon speech.

Il a décroché. Je lui ai dit ce que j’avais sur le cœur et…. il a accueilli. Nous avons échangé avec simplicité, honnêteté et bienveillance. Je n’en revenais pas ! Je m’attendais à une réaction violente "sortez les bazoukas pan pan pan pan !" Et non ! L’échange était beau et sincère. Aussitôt raccroché, j’ai senti que quelque chose s’était dénoué. Un cafard était parti.

Je n’avais plus peur d’appeler la prochaine personne. Alors j’ai enchaîné les appels, les uns après les autres. Ce fut magnifique, magique, inoubliable. Ce jour-là, tant de choses se sont dénouées en moi. Mon cœur s’est rouvert, l’amour s’est remis à couler. J’ai déposé mes gros cafards au bord de la route en leur disant merci, et je suis repartie sur mon chemin. Ce fut un des moments les plus courageux de toute ma vie.

En vérité, je ne peux pas vivre avec de la rancœur. Cela me ronge et me fait trop mal. Je ne veux pas me retrouver sur mon lit de mort et tout ressasser : tout ce que je regrette, ce que j’aurais dû faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire. Je veux être sur mon lit de mort le cœur ouvert et serein. Je veux pouvoir propager l’amour. Je crois que notre plus grand défi en tant qu’être humain est de garder notre cœur ouvert. Souvent, il nous paraît plus facile de fermer et édifier un énorme autour plutôt que de tout ouvrir et laisser jaillir les émotions. La deuxième solution me paraît moins douloureuse.

Évidemment, j’ai encore des rancœurs. Je dirais que ce sont plutôt des petits cafards. J’essaie d’éviter qu’ils ne deviennent trop nombreux. Alors je tente d’exprimer toujours plus vite ce qui me blesse, m’attriste, me met en colère. En tous cas j'essaie de ne pas laisser traîner les dossiers. L’univers me met encore de beaux défis sur mon chemin, mais j’ai réalisé la force des mots, de dire les choses. Et j’invite chacun.e à répondre aux questions suivantes :

DE QUOI AI-JE VRAIMENT PEUR ?

EST-CE VRAIMENT MA PLUS GRANDE PEUR ?