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(fr) Creative flow est un blog dans lequel j’explore le processus créatif. J’en ai besoin pour avoir plus de force dans mon travail, repousser mes croyances limitantes et juste laisser tout ce flow créatif sortir de moi. Et peut-être aider - ou au moins inspirer- d’autres personnes à en faire de même !

(eng) Creative flow is a blog where I explore the creative process to get more strength in my work, let fall the boundaries I got to let the flow just go. And maybe help -or at least inspire- others to do the same !

Je veux que chaque cellule de mon corps se souvienne.

Je veux que chaque cellule de mon corps se souvienne de cet instant. De cette enchaînement d'évènements magiques qui mène à ce moment. Ce moment même où tout mon corps et mon coeur explosent de joie, de gratitude, de félicité.

Je veux que chaque cellule de mon corps se souvienne que je peux m'abandonner au mouvement de la vie car elle est généreuse.

Tout était si doux, si précieux. Tout était mené à la perfection par une main invisible.

J'écris tout cela d'abord pour moi. Puis, pour toutes celles et ceux qui doutent de leurs créations, qui se retrouvent sur le bord de la scène en se rongeant les ongles et se mordant les doigts.

Je veux me souvenir que tout ceci est un miracle.

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Arrivée dans le temple un jeudi matin. Antoine m'accueille. Ça fourmille dans la salle de culte. Des bénévoles installent la scène, posent des praticables, montent le pont pour les éclairages. Un grand soleil perce dans la salle d'à côté. A travers les baies vitrées, je me délecte de sa chaleur. Antoine fait plusieurs aller-retours. Francine m'ouvre le pavillon pour que je puisse répéter. Elle monte le chauffage "comme ça, tu seras bien à l'aise !". Avec mes trois chaises qui glissent sur le sol en lino, je reprends quelques scènes, histoire de me rassurer. Virginie arrive. Nous montons le pont, ajustons les projecteurs, filons la pièce. C'est la première fois que nous travaillons ensemble. Mais ce n'est pas un hasard. Outre ses compétences de technicienne lumière, Virginie a écrit et joue un spectacle sur l'accompagnement à la fin de vie de sa maman. Un peu comme moi. Quand il m'a fallu une régisseuse, j'ai immédiatement pensé à elle. Elle a pu se libérer. Il n'y a pas de hasard.

L'heure fatidique arrive bientôt. J'ai peur. Au-dessus de moi, une ampoule pète. Plus de découpe. Le stress monte "Pourquoi je fais ça ???" Je veux tout arrêter. J'ai trop peur. Je sors et vais me balader près des vignes, au-dessus du temple. Un parapentiste gonfle sa voile au coucher du soleil. Le mont Salève a revêtu des couleurs orangées. Je respire. Tout va bien.

19h50. Les portes s'ouvrent.

Assise face aux chaises vides, sous les lumières bleues, j'attends. Le public rentre petit à petit. Combien sont-ils.elles ? Le temps est infini.

Projecteur face.

Je me lance.

Jouissance du jeu, retrouver les vagues émotionnelles, le rythme. Le texte glisse de ma bouche, le public réagit. Je joue ma grande épopée avec toute mon énergie.

Noir.

Je relâche tout sous les applaudissements.

Gratitude.

Je me suis changée. Je reviens. Les spectateurices me partagent leurs impressions les yeux dans les yeux. Ma psy, venue me voir avec une amie, me prend les mains. C'est doux. Dans le petit pavillon, nous plongeons dans les discussions avec les bénévoles de Templ'Oz Arts, autour d'une soupe et d'un plateau de fromage. Nous parlons du cancer, de notre lien à la mort. Je me sens pleinement là et en même temps légère. Tout est si évident et "gemütlich"...

Pause de deux jours. Je relâche près du lac et dans une salle de concert.

Le samedi j'accueille Isabelle, ma maman de cœur. Alors que j'enviais ma copine Laura Scaglia la veille d'être accompagnée de ses parents pour tous ses concerts, je réalise ma chance. Isabelle est là. Elle prend le volant de ma voiture, repasse ma chemise, m'apporte des petits gâteaux. Un soutien indéfectible.

Arrivée au temple. Avec Virginie et Cédric (avec qui j'ai créé la cie TAKE CARE), nous nous asseyons autour de la grande table pour préparer le bord de scène qui suivra la pièce. Nous partageons nos témoignages : ma mère, son cancer, notre aventure d'hôpital à domicile, puis les soins palliatifs. Virginie et l'aide au suicide de sa maman, elle aussi condamnée par un cancer. Cédric, la mort de son père ce jeudi. Encore un cancer. Nos conversations me donnent des frissons. Quelque chose se passe, au-delà de nous, dans la noirceur du soir qui tombe.

C'est bientôt l'heure. Je tire mes cheveux pour en faire un chignon et pulvérise de la laque pour fixer le tout : "mais zut, il y a encore plein de petits cheveux, tu crois qu'on va les voir sur scène, Virginie ?". J'allonge mes cils, pose mon rose sur mes lèvres gercées ("comment anticiper la gerçure des lèvres ? et les peurs de bouche sèche ? Je parle seule pendant presque une heure, tout de même !".) J'enfile ma chemise. Je m'assois sur la chaise vide et me refais le film du spectacle. Tout se pose. Je suis prête.

Les lumières bleues. Le public rentre (deux fois plus nombreux que jeudi ?). Le grand silence.

Projecteur face.

La morphine. Et la suite, qui coule : mon corps qui se déplace d'un côté à l'autre de la scène, le papier que je plie entre mes doigts, ma scène des trois chaises que je n'ai jamais trouvée aussi jouissive qu'en cet instant. Mon chant qui résonne dans le temple.

Fin de la pièce.

Noir.

Applaudissements.

Rappel.

Sacré rappel.

Je disparais quelques instants, histoire d'aller aux toilettes, boire un coup, retirer ma chemise, et enfiler mes chaussures. Cédric et Virginie ont rejoint la scène et nous lançons la discussion. Des bénévoles de La Maison de Tara Genève sont là. Tout le monde reste. Dans ce moment suspendu, la parole, d'abord timide, se dépose, des personnes témoignent. Nous allons au fond des choses. Le pasteur du temple, Olivier ajoute des mots précieux. Je déguste cette communion.

Face au public, j'intègre cette information : en cet instant, mon rêve se réalise. Je souhaitais que ma pièce soit un prétexte à l'échange sur les sujets qu'elle aborde. "C'est en train de se passer. Hélène, c'est en train de se passer." A plus de soixante personnes, nous parlons avec douceur et sans tabou de la mort et de l'accompagnement à la fin de vie. Mon cœur est gonflé de joie.

Le bord de plateau se termine. A la sortie du temple, je suis surprise de voir que mon amie Sarah a invité quatre ami.e.s qui ont adoré la pièce ; de retrouver une ancienne collègue venue avec son compagnon ; de cette magie d'avoir rencontré Aurélia et de son soutien infini autour de ma pièce. Je me dis que les graines que j'ai semées depuis mon arrivée dans la région ont fait de jolies pousses. Roland Benz, le pasteur par qui je suis arrivée là, me dédicace un ouvrage fraîchement acheté au salon du livre de Genève : "Je crois qu'il est pour toi". On me tend une assiette : "Tiens, on t'a gardé une part de tarte aux pommes. C'est Francine qui l'a cuisinée avec de la compote sous les pommes, comme dans la pièce." Comme ma mère. J'ai les larmes aux yeux. Je me sens au milieu d'une famille où l'amour déborde. Gratitude infinie.

"Hélène,

quand tu doutes, je veux que tu te souviennes de tout cela : de la saveur des mots et des regards profonds autour de la table grise ; des sourires des bénévoles te servant un verre de vin rouge ; des aller-retours d'Antoine ; du regard d'Isabelle ; des paroles d'Olivier ; de la présence des ami.e.s ; de la profondeur des échanges avec Cédric et Virginie ; de la tarte aux pommes de Francine ; du livre de Roland ; de l'attention profonde du public pendant cette discussion fabuleuse ; de toutes ces personnes qui t'entourent, te soutiennent, t'aiment. Tu n'es pas seule, tu es entourée, tu rayonnes, et tout cela circule. Car tout ceci est un miracle."

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Merci à Templ'oz Arts pour tout (et la belle banderole !!!) Merci Ced Blacha Cie Take Care Rilka Bonk

Isabelle Augagneur @jeremyguerard(toujours !)

Merci à Nicolas Luthi , un jour de rite de passage, de m'avoir permis de rencontrer Roland et arriver jusqu'à cet endroit, cet instant merveilleux.