J'fais c'que j'veux

Je fais c’que j’veux !

Photos : Alexandre Ferrini

Photos : Alexandre Ferrini

 
 
 

Je fais c’que j’veux

Article initialement publié sur le blog de l’Eco-village de Pourgues / nov. 2018

Je m'appelle Hélène. J'ai 31 ans.

L'année dernière j'en avais presque 30 quand j'ai débarqué avec ma twingo bleue à Pourgues. Le projet avait déjà démarré depuis un mois.

Après :

-un mois de quasi insomnie où je ne cessais de me voir en rêve traînant des valises débordantes, des bazars de poubelles sur un quai de gare

-un mois de dilemmes «est-ce que je reviens faire cette vidéo à Rennes, mais je serais installée, mince, je continue, je continue pas ? J'arrête, j'arrête pas ? »

-un mois de jalousies et de suppositions « mon mec est là-bas, il me parle presque pas au téléphone, ce sera fini, oui ce sera fini quand je vais débarquer. Si on est séparés, ça se passera comment ? »

-un mois de peurs, peurs PEURS peuuuuuuuurs, peur peur PEURS !!!!

J'ai décidé de tout lâcher. D'arrêter les activités que je menais et de sauter dans le grand bain. Inch allah aïe aïe caramba ! A moi liberté, autonomie, aventure !!! Je prends ma twingo et je me barre pour de bon !!!


J'ai fait la route pendant 9 heures. Une fois arrivée, je suis descendue en sueurs mais avide de découvrir cet eldorado de la liberté absolue. Et face aux montagnes, je me suis dit :

« Ça y’est ma route s’arrête ici.
Car ici je peux faire ce que je veux !
Plus d’obligations, de pression, de” il faut”, “je devrais”.
Ici je n’ai de comptes à rendre à personne. »

Et puis, je me suis vite rendue compte que ce n'était pas si facile...

« Qu'est ce que je fais là ? » vs « liberté chérie ! »

Hélène Marquer

Avant le village, je vivais à Rennes dans un HLM au 7è étage, et je me sentais presque mal de rester chez moi à regarder le ciel entre deux montages vidéos alors que les appartements autour de moi étaient vides. A Pourgues, on a tous fait le choix d'arrêter ce qu'on faisait avant, pour être là et vivre l'expérience. Je me suis sentie soulagée de ne plus être une extraterrestre qui nage à contrecourant du rythme bien rodé du réveil matin – petit dèj – boulot – retour – dodo – week-end et RTT. J'avais juste le droit de choisir mon rythme, mes activités, bref d'exister sans avoir une question du genre : « tu fais quoi comme métier ? » qui retentisse à mes oreilles.

A priori, faire ce que l'on veut paraît simple. Mes premiers jours à Pourgues ont été relaxants. Je passais mon temps à admirer le paysage, dessiner, faire des cocottes en papier, faire des bisous à mon amoureux, manger, dormir. Un pur délice. Mais en même temps me venaient des tonnes de questions : qui suis-je ? À quoi je sers ? Pourquoi je suis là exactement ? Me donner un break était un vrai soulagement et en même temps il fallait faire face au vide. « Eh oui, là plus personne ne va pouvoir te dire ce qui est bon pour toi ! »

Hélène Marquer

Solution de facilité

Après quelques semaines (ou jours?) de pure oisiveté, je commençais à avoir des scrupules. Mon mec traçait sa route, hyper productif, à faire des briques de terre crue tous les jours. Mac Gyver n'aurait pas fait mieux. Il avait beau me répéter : « Prends ton temps ma belle, profite d'avoir du temps pour toi... », je commençais à trépigner intérieurement. « Il faut que je fasse quelque chose, il faut que je me rende utile, il faut, je dois, il faut ». Je suis donc rentrée dans la phase : solution de facilité. « Puisque je suis là, autant que je serve à quelque chose dans ce projet. J'ai des compétences, il faut que je les mette à profit. » Solution de facilité par excellence : reprendre ses anciens réflexes, généralement ceux bien acquis car martelés pendant les études ou au travail. Rester dans sa zone de confort : dans ce qu'on sait faire. Exactement ce qu'il se passe pour la majorité des gens dans le monde du travail. Bravo Hélène, quelle innovation ! Alors je me suis mise à rédiger des comptes-rendus, des propositions, organiser des réunions pour structurer les choses.

En ai-je vraiment envie ?

Après plusieurs réunions et actions, j'étais contente de me sentir utile, j'avais pris ma place, rempli un certain rôle. Mais ça ne me faisait pas si plaisir que ça. Je me mettais à regretter les coloriages et les cocottes en papier. Pire, je me mettais à avoir de la rancoeur envers certains qui, selon moi, n'en faisaient pas assez. Faire le ménage de la cuisine deux fois par semaine le soir me mettait hors de moi.

« Mais ici, tu es responsable de toi, ma cocotte, tu ne peux rien attendre des autres ! Alors pourquoi les fais-tu ? »

Il a fallu que je me pose les questions. Qu'est ce qui me motive à faire ce que je fais ? Qu'est ce qui me motive à faire le ménage ce soir ? A assister à cette réunion ?

En commençant à creuser ma galerie avec une petite lampe torche, se dessinaient les réponses sur le plafond : j'ai envie de faire des choses avec les autres, j'ai envie de leur plaire, de leur faire plaisir, de me rendre utile, de faire bien (car il faut que les gens m'aiment et me trouvent formidable), de prendre ma place (car les autres ne me remarqueront jamais sinon), d'être parfaite. Et puis apparaissaient mes peurs « Si je ne reste pas pour faire à manger, les autres me critiqueront et me rejetteront du projet », « Si je ne vient pas à cette réunion, qui le fera ? Rien ne va bouger »

Il a fallu petit à petit prendre mes peurs et mes envies en main. Il a fallu pour certaines les enterrer dans du sable avec une petite croix de bois. Et faire le constat suivant :

« Tu ne fais pas les choses avec la motivation sincère. Accepte d'être seule dans ce qui t'anime toi plutôt que de t'agglomérer à quelque chose qui ne te comble pas. Accepter d'assumer ce que tu souhaites vraiment au risque de déplaire. Accepte qu'il n'y a peut-être personne ici qui partage totalement ce que tu aimes et ce n'est pas grave. Accepte de faire des actions qui auront des conséquences que tu ne peux pas contrôler. Mais surtout, essaie de faire vraiment ce que tu veux. Observe ce qui guide tes actions. Fais des choix pour celles-ci. »

Alors je me suis mise à faire de la couture, sculpter du bois, faire du jardin, cuisiner des desserts végans, faire des stages d'empreinte végétales, de clown ou que sais-je. Je continuais à faire certaines choses pour me donner bonne conscience ou parfois parce qu'elles me semblaient utiles, bien évidemment. Mais j'ai essayé de me laisser le temps de voir ce qui m'animait vraiment. Il fallait que j'essaie plusieurs choses pour me poser la question suivante : est-ce quelque chose qui m'anime profondément ? A ce moment là je voulais goûter à tout, tout croquer comme un buffet à volonté, quitte à frôler l'indigestion.

L'effet papillon

Se sont alors dessinés les contours de « je fais ce que je veux ». Petit à petit, je découvre ce qui m'anime vraiment. Je le vois comme le battement d'ailes d'un papillon qui rythme mon cœur à certains moments plus qu'à d'autres, qui me donne le sourire et la joie d'être moi, peu importe le reste et ce que les autres en pensent. Cela fait plusieurs mois que je fait des renoncements. Ce sont des petits deuils que je prends soin d'apaiser avec du baume d'amour. En même temps ce sont aussi des libérations. Non, ce n'est pas la voie que je choisis, parce que j'en choisis un autre. J'essaie aussi régulièrement de ralentir mon rythme car j'ai vite fait de vouloir boucler mon agenda pour me sentir exister, même dans un éco-village comme le notre.

J'ai l'impression qu'on nous a tellement répété que « dans la vie on fait pas ce qu'on veut », qu'on a bien enfoncé cette phrase comme un clou aussi difficile à retirer qu'Excalibur. Faire ce qu'on veut devient une quête du Graal qui demande de démonter tout ce qu'on s'est enfoncé dans le cibouleau depuis nos premiers pas à l'école, et dans cette société pas commode. En prenant ce chemin, je sens que petit à petit je me libère et je vais au plus près de moi. Je ne vais pas vous dire que c'est tous les jours facile et que je ne retombe pas dans mes biais, mais j'essaie petit à petit de devenir qui je veux.

Hélène Marquer

Credits

texte : Hélène Marquer

Photos : Alexandre Ferrini

cet article a été initialement publié sur le blog de l’écovillage de pourgues, à cet endroit